Fin de partie

Les alliés se retrouvent en situation délicate, débordés à leur gauche par le gros de la cavalerie française et poussés à leur droite, sur l’axe de la grande route menant à Château-Thierry, par l’infanterie de la Garde. À cet endroit, à la suite du retrait soudain de la gauche prussienne, le général Heidenreich et deux régiments se retrouvent à découvert. C’est le moment choisi par Napoléon pour lâcher la seule cavalerie qu’il a sous la main : les escadrons de services, dont le général Belliard prend la tête. De la droite, le général Letort et ses jeunes dragons poursuivent également leur lancée en direction de cette infanterie. À la vue de cette cavalerie, et bien que toujours sous le feu des tirailleurs français, les carrés se forment et tentent de se retirer vers Château-Thierry, mais ils seront sabrés et bien vite emportés par la charge:

Le général Letort



« (…) les dragons, qui formaient la tête, se dirigèrent en colonne sur la ligne russe qui aussitôt se forma en carrés. Les dragons attaquèrent le plus avancé et, malgré le feu nourri et le rempart des baïonnettes qu’il présentait, ils se précipitèrent sur lui tête baissée; en un instant le carré n’existait plus; les hommes renversés et les armes brisées marquaient seulement la place où il avait été. Ce carré détruit, les dragons se portèrent successivement sur deux autres, qui eurent le même sort. (…) Cette charge des dragons de la garde est un des plus beaux faits de cavalerie que j’aie vus. Il est impossible de se faire une idée de la résolution avec laquelle cette brave troupe se jeta sur ces masses de Russes dont pas un ne recula, et de la rapidité avec laquelle elle les anéantit. » [1]


Le général Heidenreich est pris et les régiments de Tambov et Kostroma jettent les armes [2].

Du haut du plateau de Nesle, les troupes françaises aperçoivent les troupes prussiennes et russes qui se hâtent de traverser la marne sur l’unique pont qui l’enjambe et qui débouche dans la ville. Ce repli s’effectue en plus ou moins bon ordre, selon les formations. Ainsi, mis à part le régiment de hussards de Brandebourg qui demeurent fidèlement en appui de sa brigade, la
7. Infanterie-Brigade de von Horn, la cavalerie alliée semble avoir quitté rapidement le champ de bataille après sa déconvenue face à la cavalerie française.

« Dès lors, le plateau de Nesle étant entièrement nettoyé, Napoléon vit à ses pieds, au fond du vallon et dans le faubourg de Château-Thierry, toute la défaite d’Yorck. La masse confuse de ces vaincus s’agitait, se pressait éperdue, à l’entrée des ponts (?) Elle y était tellement accumulée, qu’une charge de Guyot [3] et de l’escadron des grenadiers de service s’y engrava. Au milieu de leur détresse, il faut le dire, on remarquait la fermeté de leurs officiers, qui s’efforçaient de les remettre en ordre et d’en sauver le plus grand nombre. » [4]



Combat de Château-Thierry, 12 février 1814, à 3 ou 4 heures du soir, par Siméon Fort,
Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.

« Cette plaine de Château-Thierry, couverte de Russes qui fuyaient à toutes jambes et que notre grosse cavalerie,
chargeant en fourrageurs, poursuivait l’épée dans les reins, offrait un coup d’œil ravissant pour un militaire. »[5]



C’est l’artillerie prussienne, en batterie au Nord de la Marne, qui semble avoir arrêté la poursuite des Français et permit aux alliées de compléter la retraite. Les troupes françaises durent garder une certaine distance, permettant ainsi à l’arrière-garde prussienne de couper le ou les ponts (?). Laissons le mot de la fin à D’Autancourt : « Cette artillerie battait toute la prairie et contint notre cavalerie qui, séparée par la Marne ne pouvait rien entreprendre et s’arrêta. Toutefois le faubourg fut enlevé par notre infanterie, malgré tout ce que purent faire les troupes fraîches de l’ennemi, et il n’eut que le temps de démasquer une batterie, sous la protection de laquelle il parvint à opérer sa retraite et à brûler ses ponts. Nous étions demeurés spectateurs tout en enrageant de ne pas donner[6] ».



Notes

[1]
Griois p. 287.
[2] Sans complaisance, l’historien russe rapporte : « General heidenrich’s brigade of infantry, consisting of the regiments of Tamboff and Kostroma (…) were ultimately broken : the General was made prisoner, and three pieces of cannon were taken ». Mikhailofsky-Danilefsky, p.113.
[3] Il s’agit sans doute du Lafferière-Lévesque ou du général Letort, dont la conduite a été remarquable. La division du général Guyot ne semble pas avoir beaucoup donnée. Ainsi, il écrit très simplement dans son carnet pour ce jour : « A trois quarts d’heure de la position d’Essise en suivant la route nos troupes de la Garde l’on atteint [l’ennemi] et par l’effet d’une seule charge qui a eu des suites jusqu’à près de Château-Thierry (par le général Laferrière) on lui a tué beaucoup de monde et pris du canon. » Guyot, p. 245. Voir aussi d’Autancourt, cité par Mathieu p. 171-173 qui faisait partie de la division Guyot et qui ne rapporte aucun fait d’armes digne de mention le 12 février.
[4] Ségur p.83.
[5] Griois, p. 289.
[6]
D’Autancourt, Notes historiques.