De Paris à Montmirail
Le 19 janvier, après une revue dans la cour des Tuileries, le général d’Autancourt reçoit l’ordre de rejoindre l’armée à la tête de détachement du 1er chevau-légers lanciers polonais, du 2e chevau-légers lanciers et du 1er éclaireurs. Il rejoint sa colonne à 1 heure de l'après-midi le 21 à La Ferté-sous-Jouarre:
« J'avais donné ordre que mon logement fut fait à l'hôtel de Metz où je logeais toujours et où j'étais connu et bien reçu. J'y déjeunai avec Rousselet et j'invitai à dîner avec moi MM. de Ticken et Delaunay, commandant du 2e Chevau-légers et du 1er Éclaireurs... »
« Le 22, nous partîmes à 8 heures du matin de La Ferté [sous-Jouarre]. La gelée continuait et nous ne pûmes sortir de cette ville et monter la montagne rapide de la rive droite de la Marne qu’en conduisant nos chevaux par la bride; il en fut de même pour descendre à Montreuil-aux-Lions, où le détachement de mon régiment nous attendait. Nous machâmes pendant cette journée presque continuellement à pied tant le froid était vif et la route couverte de glace. Déjà nous rencontrions beaucoup de voitures avec des femmes qui allaient se mettre en sûreté à Paris. »
« Je rencontrai près de la Poste du Petit Paris, le général Valin, beau-frère de mon camarade le général Daumesnil. Il reconduisait à Versailles un gros dépôt de Gardes d'Honneur pour les y réorganiser. Il avait été nommé, je crois, major d'un de ces régiments. »
« Nous arrivâmes vers 1 heure à Château-Thierry. Mon logement, d'après l'ordre que j'avais donné, avait été fait à l'auberge de la Syrène, où j'avais dîné le 20 septembre. Les pluies précédentes avaient tellement augmenté la Marne, malgré la gelée survenue depuis quelques jours, qu'une partie des cours de cette auberge était inondée ainsi que les écuries.
Voici le logement de ma colonne :
Mon quartier-général était à Château-Thierry,
..........le 1er Régiment id.
..........le 1er d'Éclaireurs id.
..........le 2e Chevau-légers en avant à Crézancy.
Je déjeunai avec Rousselet dans une chambre qui m'avait été choisie et qui a vue sur la belle prairie de la rive gauche de la Marne, vers Nogentel. Nous fûmes servis par une des jolies demoiselles de cette maison où je logeais depuis si longtemps.
Je croyais trouver à Château-Thierry des ordres du général de division Lefebvre-Desnoëttes qui devait m'y en laisser; mais n'y en ayant point, je lui adressai ma situation à Châlons en lui mandant que quoique j’eusse besoin d’un séjour pour mes jeunes chevaux, je ne m’arrêterais point avant de l’avoir rejoint…
Le soir les officiers des deux détachements se réunirent à mon auberge où il avait été commandé à diner selon l’usage ancien de la Garde Impériale, et nous dinâmes tous ensemble. Le repas finit par quelques bouteilles de champagne mousseux que je fis venir pour porter le toast ordinaire.
Le 23, nous montâmes à cheval à 8 heures du matin, après avoir déjeuné d’une soupe à l’oignon et pris un verre de vin. En arrivant à Crézancy un officier polonais y avait fait préparer du vin chaud au sucre ; nous en prîmes quelques verres. En quittant ce village situé dans la côte que forme l’enfoncement de la vallée du Surmelin, nous trouvâmes cette rivière. Continuant notre marche nous arrivâmes à Dormans à 1 heure. Mon logement était fait d’après mes ordres, à l’auberge de la Croix d’Or, où je logeais depuis longtemps lors de mes passages. Voici le logement de ma colonne :
..........mon quartier-général à Dormans,
..........le 2e régiment de Chevau-légers à Dormans,
..........le 1er d’Éclaireurs à Dormans,
..........le 1er régiment de Chevau-légers en avant à Troissy.
Le dîner fut commandé à mon auberge pour tous les officiers, à Dormans et eut comme à Château-Thierry.
Dans l’après-midi j’écrivis au chef d’habillement Pfeiffer, à Paris, relativement à des envois d’habillement et équipement qu’il devait me faire à Châlons.
Je donnai ensuite un ordre du jour relatif aux maréchaux-ferrants de mon régiment et aux sous-officiers chargés provisoirement des détails de la comptabilité de chaque compagnie.
Vers le soir avant dîner, les commandants des détachements passèrent devant mon logement les différentes revues de chevaux que j’avais prescrites, selon ma constante habitude, avant de mettre pied à terre.
Voici ce que j’écrivis l’après-midi à ma femme : ll a fait aujourd’hui un froid violent et cependant les eaux de la Marne ont failli inonder cette nuit la partie de Château-Thierry qui se trouve sur la rivière, puisqu’elles sont montées dans les cours et les écuries de mon auberge. En ce moment le vallon de la rivière est entièrement sous les eaux et elle charrie des glaçons énormes. Cette route est couverte de troupes, de bagages, d’allants et venants. Les campagnes craignent l’ennemi, mais en bons Français. Les bons habitants reçoivent les troupes avec amitié et les hébergent le mieux qu’il leur est possible ; la conviction que j’en ai acquise m’a fait grand plaisir ; en un mot il y a encore des Français par ici, ce n’est qu’à Paris qu’il n’y en a plus ! O mon amie, si tu n’habitais point cette ville, si elle n’était remplie des trophées de nos Victoires, si elle n’était devenue la Patrie et le centre des Arts, je ne sais ce que j’en dirais !
Le 24, nous partîmes de Dormans à 8 heures. Mes Chevau-légers logés à Troissy étaient à cheval à mon arrivée et nous marchâmes sur Épernay ; en traversant le beau village de Mareuil (le Port), nous étions à pied, les habitants nous voyaient avec plaisir ; ils criaient : Vive l’Empereur ! et nous recommandaient de bien frotter les Cosaques et de la pourchasser. Cette population était animée du plus noble enthousiasme sur toute la route. Nous arrivâmes à Épernay à 1 heure ; mon logement était fait à l’écu de France chez M. Angion. La cour de cette auberge où je descendais toujours donne sur une église. J’y avais déjeuné le 20 septembre. Voci le logement de ma colonne :
..........mon quartier-général à Épernay,
..........le 1er régiment de Chevau-légers (mon régiment) à Épernay,
..........le 2e, en avant à Choully, route de Chaalons,
..........le 1er d’Éclaireurs à Flavigny, sur la droite [Mon registre de correspondance porte Flavirey. Rectification de d’Autancourt]
Nous dinâmes tous dans mon auberge, après la revue de chevaux que je passai près de la porte de Châlons. J’étais assez fatigué, car le grand froid et les glaces qui couvraient la route nous avaient obligés de marcher encore presque toute la journée à pied.
J’avais fixé l’heure du départ d’Épernay pour le lendemain à 8 heures et les détachements logés à Chouilly et à Falvigny devaient se régler sur cette heure pour être prêts à me joindre à mon passage. Mais dans l’après-midi, M. de Caraman, officier d’ordonnance de l’Empereur, m’apporta l’ordre d’aller coucher le lendemain au-delà de Châlons. Je décidai de partir à 7 heures ; j’en prévins MM. De Ticken et Delaunay avec ordre de faire partir également leur logement une heure plus tôt. Je fixai le point où les éclaireurs devaient me rejoindre à Athis, sur la route avant d’arriver à Châlons.
Voici ce que j’écrivis dans la journée à ma femme : Tout est emballé ici par peur de l’ennemi ; les aubergistes ont effacé et caché leurs enseignes ; on ne nous sert plus qu’avec des couverts de plomb ; les plus riches boutiques n’offrent plus que des objets de 3 ou 4 fr. au plus. On nous y reçoit au reste mieux et, malgré le froid, tout le monde est sur la route pour voir passer l’armée et les femmes nous prient de bien rosser l’ennemi et de le pourchasser ». En marge : « Ce peuple a depuis justifié ces dispositions et, sans la trahison qui rendit Paris, l’ennemi eut trouvé son tombeau avant de repasser le Rhin. Tout le monde sait à quel point ses armées étaient démoralisées avant les évènements du 31 mars… »
« Nous passâmes gaiment la soirée avec MM. les officiers Polonais, et les habitants nous recommandèrent encore de les délivrer des Cosaques.
Le 25, nous quittâmes Épernay à l’heure fixée… »[1]
Les Notes historiques de d’Autancourt relatent les charges de la brigade des éclaireurs ordonnées par Nansouty à la bataille de La Rothière:
« les jeunes Éclaireurs s'élancèrent avec une audace admirable et aux cris de « Vive l'Empereur ! ». Abandonnant les rênes, quelques-uns tenaient leurs lances avec les deux mains. On arriva ainsi en assez bon ordre partie sur la cavalerie, partie sur un gros carré russe qui l'appuyait et ne fut point entamé, mais au moins contenu, et nous ralliâmes assez lestement hors de la portée de son feu; la mêlée devint furieuse; emportés et désunis, les Éclaireurs donnèrent partiellement, leur courage suppléa à leur inexpérience. (…) Dans cette journée, outre le chef d'escadron Zaluski fait prisonnier, nous perdîmes une quinzaine d'hommes[2] ».
« Le 8[février], nous quittâmes Saint-Nicolas vers 10 heures et rejoignîmes la route de Sézanne, par Villenauxe et Barbonne, à Saint-Ferréol. Au-delà de Villenauxe, nous traversâmes une petite partie de la forêt de la Traconne, jusque-là les chemins étaient fort mauvais, mais avant d’arriver à Barbonne, ils devinrent horribles; je ne puis concevoir comment il fut possible d’y faire passer l’artillerie. Cette terre est grasse, elle semblait entièrement défoncée.
Pendant cette marche, nous fîmes plusieurs haltes et j’envoyai plusieurs reconnaissances de mon régiment sur notre droite, à Villeneuve-Saint-Vistre et à Marsangis. Il était presque nuit lorsque nous arrivâmes à Sézanne. Toute la cavalerie se réunit en avant de cette ville sur la route de Châlons, pour attendre des ordres ou pour bivouaquer. Cependant la nuit était arrivée et était fort noire. Nous avions allumé des feux car depuis trois ou quatre jours nous ne pouvions parvenir à nous sécher. Mais enfin la destination de chaque corps arriva et en même temps je reçus l’ordre particulier du général Nansouty de prendre le commandement de la brigade des Vieux Dragons et des Vieux Grenadiers de la Garde. Je quittai donc encore une fois mon régiment, mais le commandement que je recevais était si beau que j’étais complètement dédommagé. La division du général Guyot, dont cette brigade faisait partie, avait ordre de retourner au village de Saudoy par lequel nous étions arrivés. On y envoya les aides de camp, les adjudants et les fourriers pour établir les logements et nous arrivâmes vers 9 heures mouillés, percés d’eau et couverts de boue. Rousselet avait fait mon logement chez un petit cultivateur devant la maison duquel passait la route de Barbonne à Sézanne, cette maison est à droite de cette route et a vue sur la campagne; je crois même que c’est un cabaret. Il y avait une chambre au rez-de-chaussée qu’on nous donna. On nous fit à manger et de bon feu et nous nous occupâmes enfin de nous sécher. Nous passâmes la nuit sur de bonnes pailles. Le passage des troupes dura presque toute la nuit. Malgré les chemins épouvantables et le temps horrible qu’il faisait[3] ».
« Le 9, à la pointe du jour, nous montâmes à cheval; je plaçai ma brigade de l’autre côté de la route, en face de mon logement. Ne recevant aucun ordre, à 8 heures nous rentrâmes dans le village. Vers midi, l’ordre fut donné de desseller et de panser les chevaux; attendu que l’on croyait ne faire ce jour là aucun mouvement, il fut recommandé aux hommes de se nettoyer le mieux possible et de mettre leurs armes et leur équipement en bon état. Cette journée se passa donc, de la part de chacun à se sécher et à se nettoyer.
Je dînai donc vers midi chez le général Guyot, commandant la division; il était assez bien logé.
En me promenant devant mon logement au bord de la route, j’examinai avec un sentiment de peine de l’infanterie qui suivait cette route et qui faisait les plus pénibles efforts pour sortir de la boue grasse dont elle était couverte. Les hommes se suivant à la file traçaient un sillon pour chaque pied et, au milieu de ces deux sillons la boue d’élevait jusqu’aux genoux; en un mot il était difficile de traverser cette route sans s’y embourber pour aller de mon logement au côté opposé. Aussi les malheureux fantassins étaient-ils horriblement fatigués. Nos vieilles troupes de 1807, 1808, 1809 et 1812 eussent supporté d’aussi extrêmes fatigues, mais elles n’étaient plus pour la plus forte partie.
Pourtant nos conscrits réunissaient leurs forces, leur courage[8] ».
« Le 10, nous montâmes à cheval vers 10 heures et marchâmes jusqu’à Sézanne. Nous traversâmes lentement cette ville encombrée par la marche de l’armée et je dois dire que je ne sais comment il fut possible en en sortant de gravir les montagnes que traverse le chemin de Pont-Saint-Prix et au pied desquelles le Grand Morin prend sa source. Il fallut toute l’ardeur et le patriotisme de l’armée pour surmonter les étonnantes difficultés que présentaient ces montagnes et l’horrible état des chemins. Mais de quoi n’était pas capable cette armée quand l’Empereur était à sa tête ! Nous marchâmes lentement, fîmes plusieurs haltes et passâmes le Petit Morin à Pont-Saint-Prix et arrivâmes devant le village de Baye vers 3 heures. Nos troupes étaient depuis longtemps aux prises avec l’ennemi et ce village avait été enlevé vers 1 heure aux troupes russes commandées par le général Alsufiew, qui était vivement poursuivi. Nous continuâmes à marcher sur Champaubert où nous arrivâmes à la nuit noire et où nous apprîmes les heureux résultats de cette belle affaire. Toutes nos troupes étaient enthousiasmées et nous trouvâmes près des hayes, des colonnes de prisonniers qu’on ramenait de toutes parts. Nous traversâmes Champaubert et vînsmes établir nos bivouacs au-delà et près des hayes de ce village, dans un terrain labouré, en partie submergé, à la gauche de la route de Montmirail. Je plaçai ma brigade dans cette petite plaine et elle bivouaqua en ordre de colonne, par escadron. Ce bivouac était des plus mauvais, bien qu’autant que possible j’aie tenté de l’éloigner de la partie de ce terrain qui était trop humide, et les hommes et les chevaux y passèrent une mauvaise nuit. Mon bivouac fut établi à la droite des dragons, dans une sorte de chemin bordé de hayes vives où nous nous abritâmes moi, et une partie des officiers et où nous trouvâmes un peu de gazon moins humide. Le général Guyot était près de là. Aussitôt que mes domestiques se furent procuré de la paille, nous nous étendîmes dessus avec Rousselet, mangeâmes près d’un mauvais feu quelques provisions et, m’étant selon ma coutume enveloppé la tête de mon manteau, je dormis assez bien et fort tranquillement[5] ».
« Le 11, nous montâmes à cheval une demi-heure environ avant le jour et marchâmes à Montmirail. Nous étions à Fromentières à la pointe du jour et fîmes une halte près de ce village, à gauche de la route; on y alluma du feu dans des bivouacs qui venaient d’être abandonnés. Les habitants vinrent nous voir; ils nous auraient donné tout ce qu’ils possédaient si les Cosaques et les Russes leur eussent laissé quelque chose. Je fis même donner à manger à deux ou trois femmes parmi lesquelles j’en trouvai une qui avait été violée avec ses deux filles par ces bandes russes, dont les Français ou plutôt des hommes nés en France, n’ont pas craint de chanter les louanges; une de ces filles était morte entre les mains de ces brigands, l’autre était fort malade. Ces horreurs nous soulevèrent d’indignation.
Nous nous remîmes en marche, traversâmes Vauchamps et fîmes une nouvelle halte dans les belles et magnifiques avenues bordées d’arbres qui sont au-dessus et au nord-est de Montmirail[6] ».
« Cependant on entendit quelques coups de canon dans la direction de La Ferté. L’Empereur était en avant. Bientôt nous reçûmes ordre de marcher. Nous tournâmes Montmirail et passâmes sous ses murs que nous laissâmes à gauche, descendîmes un vallon dans lequel nous traversâmes un petit ruisseau coulant des étangs de Vauchamps, dans lesquels il prend sa source qui tombe dans le Petit Morin presque vis-à-vis de Méringes, et rejoignîmes la route au point où elle se divise en deux branches : l’une conduisant à Château-Thierry, l’autre à la Ferté. Nous demeurâmes longtemps à droite de la première, sur les hauteurs de Montcoupeau, les chevaux restant toutefois en ordre de colonne par escadron : il pleuvait[7] ».
« Cependant la fusillade se faisait entendre devant nous et tout nous annonçait une bataille. Il était déjà tard lorsque nous reçûmes ordre de nous porter en avant. Nous nous déployâmes dans les plaines à droite de la route de Château-Thierry, en deçà du Petit et du Grand Plénois et reçûmes là quelques boulets qui ne nous firent guère de mal, non plus que ses obus. Toute la cavalerie de la Garde, commandée en chef par le général Nansouty, se trouvait en ligne dans les plaines et ses mouvements me firent croire pendant un moment qu’elle voulait déborder la gauche des Russes que nous avions reconnue qui était appuyée à Fontenelle, et menacer sa communication de Château-Thierry[8] ».
Notes
[1] Mathieu, p.21-24.
[2] Brunon, p.57.
[3] Mathieu, p.47.
[4] Mathieu, p.58-59.
[5] Mathieu, p.101-102.
[6] Mathieu, p. 112-113.
[7] Mathieu, p. 126-127.
[8] Mathieu, p. 134-135.