Le combat de Champaubert — 10 février 1814


La situation demeurait confuse, l’Empereur ne voulait pas brusquer les choses et alerter Blücher. Fain rapporte que Napoléon, étendu sur ses cartes aurait déclaré au duc de Bassano qui lui présentait des dépêches : « Je battais Blücher de l’œil ; et je le tiens s’il avance par la route de Montmirail : je pars ; je le battrai demain, je le battrai après-demain ; si ce mouvement a le succès qu’il doit avoir, l’état des affaires va entièrement changer (…) » [1]

Il faut attendre le 8 pour apprendre que le Preussisches I. Armeekorps du General der Infanterie Yorck se trouve seul près d’Épernay et surtout obtenir un rapport de Macdonald : « Les Russes [Sacken] marchent rapidement par la route de Montmirail. Je hâte ma marche pour couvrir les points importants de passage de Château-Thierry et de La Ferté-sous-Jouarre. »[2] Le 9 au matin, Marmont rapporte : « J’occupe Pont-Saint-Prix et Baye qui étaient occupés par 5000 hommes d’infanterie ennemie. Un grand parc d’artillerie est arrivé à Champaubert et a continué sur Fromentières. La cavalerie légère que j’avais placée sur la route de La Ferté me rend compte que l’ennemi comme je l’avais prévue s’est porté sur la route de Montmirail… et que la tête de son infanterie y est arrivée aujourd’hui [le 8]. »[3] Ainsi donc, l’anticipation de l’Empereur se confirme la Schlesische Armee s’est séparée de l’armée principale.

Prévenu que les corps de Kleist et Kaptsevich approchent, Blücher désire attendre l’arrivée de ces renforts avant de se réunir au petit corps d’Olsufiev. C’est en effet à ce général russe que revient la tâche de garde-flanc pour Yorck et Sacken. Le
Generalmajor Müffling servant à titre de Quartier-maître général pour la Schlesische Armee relate la présence de 56 500 hommes échelonnés entre Montmirail et Châlons-sur-Marne. Chaque corps est séparé par une journée de marche du prochain sur une distance de 60 km [4].

Les chemins sont complètement défoncés, l’artillerie peine à suivre. À cet égard, les témoignages sont nombreux. Par exemple, le capitaine de Lauthonnye du 2e régiment d’Artillerie de marine raconte : « Ce que nous n’avions pas encore éprouvé, ce sont les mauvais chemins dans les défilés de Saint-Gond ; on mettait seize chevaux après une pièce pour la sortir de la boue, les chevaux enfonçaient jusqu’au ventre ; nous pensions qu’il était impossible de passer, mais l’Empereur ayant donné l’ordre d’arriver, les chevaux, je crois, prirent autant de courage que les hommes. Le défilé fut passé, le village de Baye enlevé [5] ».

Napoléon ordonne la concentration de ses troupes à Sézanne et y couche le 9. Defrance et Mortier étaient déjà en mouvement ; Oudinot et Victor tenant la Seine avec la tâche d'immobiliser la Hauptarmee et de garder au moins un pont afin de rendre possible une opération future contre elle. Avant de quitter Nogent, l’Empereur a écrit à son frère le Roi Joseph son intention d'attaquer Blücher le lendemain et lui a fourni un long rapport de situation.

Toutes les forces qu’il avait sous la main, ingénieurs et artilleurs compris, se chiffraient à 70 000 hommes. Il estime que le Vieux Hussard dispose de 45 000 hommes sur la Marne, ce qui est sous-évalué ; tandis que Schwarzenberg s’avance sur la Seine avec a 150 000, ici sur évalué [6].
« Mais, à la voix toute-puissante du maître, toutes ces impossibilités disparaissent, les courages se raniment, le patriotisme s’exalte : les habitants accourent de toutes parts, et malgré la nuit, homme, femmes, chevaux, tout s’attelle! [7] »
Arrivé très tard à Sézanne, l’Empereur y apprend que Marmont s’est retiré sur Chapton, au sud du Petit-Morin. Le maréchal écrit à Berthier en concluant que le mouvement sur Champaubert « nous serait funeste demain [8]. »


The Road to Sezanne, French Artillery of the Guard 1814. Par Keith Rocco.

Pendant ce temps, au Quartier-général de la Schlesiche Armee on se prépare à déménager de Vertus à Étoges, à 6 km à l'est de Champaubert. Karpov a rapporté de Montmirail que ses Cosaques avaient été repoussés de Sézanne la veille, 8 février, par la cavalerie française en provenance de Villenauxe. Pendant le dîner, un officier russe de l’état-major du General-lieutnant Olsufiev a rapporté qu’une patrouille française est parvenue jusqu’à Baye avant de se retirer par la route de Sézanne. Cette information rassure les Prussiens. Ce premier aperçu du mouvement que Napoléon s’apprête à faire a été considéré comme une simple reconnaissance en force.

Blücher reçut des ordres de Schwarzenberg au même moment qu'il a appris l'arrivée de Napoléon à Sézanne [9]. Confronté aux opinions divergentes de Gneisenau et de Müffling, le Vieux Hussar ne savait quel parti prendre. Finalement, le
Leutenant von Gerlach fut envoyé pour informer Sacken de concentrer son corps le 10 à Champaubert, ou bien, s’il juge sans importance l’accrochage subit par les Cosaques à Sézanne, de continuer sa marche sur La Ferté. De Montmirail il conservera la possibilité de se retirer sur Château-Thierry et se réunir à Yorck [10].

Notes

[1] Fain, p.114.
[2] Rapport de Macdonald, cité par Tranié et Carmigniani, p.93.
[3] Tranié et Carmigniani p.94. Mathieu P. 45 (8 février) Une avant-garde de 150 lanciers, commandée par le colonel Labouret (La Bourraye), du 3
e chevau-léger, est parvenue pourtant à Baye et s’y est logée après avoir chassé 5000(sic) grenadiers (russes du corps de Sacken).
Note personnelle : les chevau-légers ont souvent été confondus avec les lanciers polonais de la Garde.

[4] Müffling, p.94-95 et 432.
[5] De Lauthonnye, p.115.
[6]
Napoléon au roi Joseph, Nogent, 9 février 1814. Correspondance, № 21 227.
[7] Ségur, p.66.

[8] Weil, II, p.173 : lettre de Marmont au major général. Datée du 9 février ?
[9] « Je vous répète ma demande de faire marcher aussi un corps fort directement vers Nogent qui soit en état de soulager le Comte Wittgenstein et d’entretenir la communication entre vous et moi ; je crois qu’il ne serait pas désavantageux si on laissait assez de temps au général Winzingerode pour aider aussi à ce coup décisif ». Schwarzenberg à Blücher, Troyes, le 9 février 1814. Correspondance de Schwarzenberg et Blücher en 1814.
[10] Müffling, p.121 et 125.