Alors que Berthier était en route pour la Meuse, légèrement au sud de la Schlesische Armee, l'aile droite de la Hauptarmee constituée par le V. Armeekorps de Wrede atteignait Neufchâteau et établissait une communication avec le quartier-général de Blücher[1]. À Chaumont, les Autrichiens du III. Armeekorps que commande un Hongrois, le Feldzeugmeisters Graf Gyulay, font face aux troupes du maréchal Mortier, duc de Trévise. Entre ces deux corps alliés se trouve le IV. Armeekorps du prince royal de Wurtemberg. Plus au sud, le I. Armeekorps du Feldzeugmeisters Colloredo complète ce dispositif convergeant vers Bar-sur-Aube. Schwarzenberg s’était en effet donné comme objectif de tourner les Vosges par le sud et de prendre position sur le plateau de Langres.
C’est donc au duc de Trévise qu’échoit le commandement de l’extrême droite du dispositif français. Fidèle de l’Empereur, la nature de ses commandements précédents porte à croire que ce dernier lui prêtait moins de talent militaire qu’à Marmont ou à Macdonald. En janvier 1814, c’est pourtant Mortier qui se montrera le plus malin. Avant de parvenir à Langres, entre le 9 et le 12 janvier, les troupes de la Vieille Garde qu’il commande ont marché presque sans discontinuer depuis Trêves un mois auparavant [2]. Pendant les deux semaines suivantes, de Langres à Bar-sur-Aube, il procèdera à des démonstrations offensives [3], flouant les Autrichiens de Gyulay sur sa force réelle [4], les intimidants et leur imposant un temps d’arrêt [5], toutes choses que n’ont pas su faire ses confrères sur la Moselle et la Meuse.
À Châtenay-Vaudin, à Longeau, à Fayl-Billot, malgré la fatigue accumulée, la Vieille Garde attaque les avant-postes autrichiens, infligeant à l’ennemi des pertes s’élevant à plusieurs centaines d’hommes. Comme le rapportera le maréchal Mortier au major général « l’attaque vigoureuse qui a eu lieu dans la nuit du 12 au 13 à Châtenay-Vaudin et le combat de Longeau ont rendu l'ennemi circonspect[6]. »
Devant la disproportion des forces — trois corps de la Hauptarmee convergent vers lui —, menacé sur ses flancs, le maréchal Mortier évacue Langres le 17 janvier au petit matin, ce qu’il réussit sans se faire remarquer par l’ennemi. Mieux, il parvient non seulement à briser le contact avec les corps de Schwarzenberg, il réussit également à dissimuler sa route de replie. « Gyulay, avec son insouciance et sa somnolence habituelles, avait trouvé absolument inutile de faire suivre, même par un petit parti, le maréchal Mortier, dont on avait, le 17 au soir, absolument perdu, non seulement le contact, mais encore la trace[7]. »
Le généralissime des forces alliées avait entretemps appelé vers Gyulay, les corps de Colloredo, de Wrede et du prince royal de Wurtemberg, tout en hâtant la marche des réserves et des gardes vers cette position.
À Chaumont, où il s’était replié, le maréchal Mortier ne restera que quelques heures. Le 18 janvier, un bataillon de la Garde assène une mornifle à l’avant-garde wurtembourgeoise qui s’était avancée imprudemment jusqu’à Choignes. Le lendemain, encore une fois avant l’aube, il évacue discrètement la ville et arrive de nouveau à flouer les alliés sur ses intentions. Rejoint à Bar-sur-Aube par les 4000 hommes de la 2e division de la Vieille Garde commandée par le général Michel ainsi que les 2000 Marie-Louise du 113e de ligne, il dispose alors de près de 14 000 hommes auxquels l’inaction de l’ennemi lui permet d’accorder plusieurs jours de repos.
Le 22 janvier, l'arrière-garde de Mortier occupait devant les Ill. et IV. Armeekorps, une solide position défensive entre Bar-sur-Aube et Colombey-les-Deux-Églises, d'où elle ne cessait de pousser des reconnaissances offensives contre les avant-postes alliés. Cette agressive défensive en impose encore une fois aux forces beaucoup plus importantes qu’il a devant lui. Ainsi, le 23, les Chasseurs de la Garde attaquent les avant-postes autrichiens à Clairvaux-sur-Aube et s’emparent de prisonniers. À Trimilly les reconnaissances du maréchal français se heurtent à l’avant-garde du V. Korps, soit les cosaques de Platov; ce point est tout de suite renforcé pour couvrir les arrières de la Garde. Ne prenant aucun risque, le maréchal assigne les trois bataillons du 113e de ligne, constitués exclusivement de Marie-Louise, à la protection du pont de Dolancourt contre un coup de main des cosaques. Ce pont ouvre la route de repli vers Troyes.
Quel contraste avec ses trois compagnons d’armes maintenant réunis sur la Marne: malgré la précarité de sa situation, toujours à risque d’être débordé, le duc de Trévise se montre combattif et rusé. Cela s'avère payant, le temps gagné sur les Alliés est important. L’attaque de Bar-sur-Aube est toutefois imminente, la Hauptarmee possède deux voies d’approche séparées par l’Aube infranchissable : la chaussée de Chaumont et celle de Châtillon. Mortier prit de bonnes dispositions et livra devant Bar-sur-Aube un combat retardateur le 24 janvier. Ce combat est le plus important depuis le franchissement du Rhin par les Alliés. À la nuit, pour la troisième fois en une semaine, il réussit à se dérober à la barbe de l’ennemi qui perd la direction exacte de sa retraite. La Garde se dirige vers Troyes par le pont de Dolancourt : les alliés crurent qu’une partie du corps remontait vers Châlons-sur-Marne!
Langres n’était pas en état de défense, rien n’avait été prévu pour y retarder l’ennemi, encore moins pour y soutenir un siège. La ville ouvrit ses portes dès le départ du maréchal Mortier et de la Vieille Garde.
Notes
[1] Wrede à Schwarzenberg, Neufchâteau, 20 janvier 1814. Weil, I, p. 156.
[2] Division Friant (4500 hommes) et la cavalerie de la Garde (2500 hommes) sous Laferrière-Levesque, environ 7000 hommes. La division Michel suivra quelques jours plus tard, portant l’effectif total des forces du maréchal Mortier è un peu moins de 12 000 hommes.
[3] Ainsi, dans la nuit du 12 au 13 janvier, les Chasseurs à cheval de la Garde surprennent à une heure du matin les avant-postes du III. Korps à Châtenay-Vaudin. À cinq heures, c'est au tour des avant-postes du côté de Boulc-en-Chasse de subir une attaque. Enfin deux heures plus tard un groupe de 800 cavaliers environ sort de nouveau de Langres et inquiète toute la ligne occupée par Gyulay qui, s'attendant à être attaqué à tout instant, renonce à reconnaître Langres et se concentre à Fayl-Billot.
[4] Le 14 janvier 1814, l Thurn annonce au prince de Schwarzenberg qu’il y aurait une armée de plus de 50 000 hommes entre Langres et Dijon!
[5] Langres pouvait être attaqué dès le 13 janvier. Toutefois, devant l’incertitude sur les effectifs du maréchal Mortier, l’opération fut retardée au 18. L’Oberstleutnant Thurn qui commande l’un des Streifkorps, rapporte à Schwarzenberg le 9 janvier, qu’il évalue les forces de Mortier entre 10 000 et 30 000 hommes. Or à cette date, Mortier a tout au plus 8000 hommes avec lui.
[6] Mortier à Berthier, Langres, 16 janvier 1814 au matin.
[7] Bernhardi, p.187 et Weil, I, p. 140.