Le Hourra de Marmont

Tandis que Blücher poursuit la retraite jusqu’à Bergères-les-Vertus (il y sera vers 10h du soir), le General-Major Prince Alexander Petrovich Urusov, commandant la 8e division d’infanterie russe doit demeurer à Étoges. C’est à cet endroit qu’il recevra la visite du Maréchal Marmont. Ce dernier eut une heureuse intuition. Réunissant les troupes d’infanteries du 6e corps qu’il peut réunir au pied levé, il ordonne de poursuivre l’ennemi par une attaque de nuit sur Étoges.

Les assaillants connaissaient bien le terrain, puisqu’ils occupaient cette position dans les jours précédents. Ainsi, directement par la chaussée, le maréchal mène lui-même l’attaque. C’est le 1er régiment d’artillerie de marine qui en sera le fer de lance. Pour ce fait d’armes, le colonel Maury sera fait baron le 26 février suivant. Quelques autres bataillons utiliseront le chemin de Fèrebrianges et prendront les Russes à revers. Les consignes sont de marcher sans bruit, de ne pas tirer et de ne pas répondre au feu de l’ennemi[1]. L’attaque doit se faire à l’arme blanche.

Les Russes, sans doute épuisés par la journée, préparant le bivouac, se gardent mal et la surprise est totale. La
12. Brigade du Generalleutnant Prinz August von Preussen fermait la marche de la colonne qui continuait sa route sur Bèrgères, elle fut aussi rejointe par les Français. Cette brigade perdit alors beaucoup de monde, entre autres en raison de l’écroulement d’un pont au-dessus d’un faussé marécageux qui empêcha toute retraite à ceux restés du mauvais côté. Le prince raconte :

« La cavalerie et l’infanterie française pénétrèrent en même temps qu’eux (les Russes) dans nos rangs, sans tirer un coup de feu, assommant à coup de crosses, lardant à coups de baïonnette, criblant de coup de sabre mes soldats qu’ils poussèrent ainsi jusqu’à la sortie du village où je parvins enfin à les rallier. Je continuai ma retraite sans être inquiété jusqu’à Bergères-les-Vertus[2] ».

Le lieutenant von Rahden[3], du
2. Schlesische Infanterie-Regiment, remarque que l’ordre et la discipline avec lesquels les mêmes soldats firent face aux charges de cavalerie quelques heures plus tôt s’évaporèrent complètement sous la terreur engendrée par une attaque de nuit. Ajoutons que l’endroit n’était pas facile à défendre face à une attaque venant de l’ouest, Étoges étant situé au fond d’un escarpement.

Cette attaque nuit, bien menée et vigoureuse, occasionna des pertes minimes pour les assaillants. Marmont rapportera à l’Empereur la capture de 1200 prisonniers russes, dont le prince lui-même, blessé par un coup de baïonnette, ainsi qu’un colonel et deux majors[4]. Il dînera le soir même avec le Prince Ouroussov [Urusov]. Ce dernier lui déclarera alors :

« Monsieur le maréchal, je vous demande pardon de ce qui s’est passé et de ce que nous nous sommes si mal défendu. En voyant la nuit arrivée, en entendant vos trompettes sonner le rappel, je me suis dit : les Français font la guerre comme nous et ne se battent pas la nuit. En conséquence, j’ai cru que l’on pouvait aller, sans danger, à l’eau et à la paille. Dans le cours de la journée, vous avez dû être content de nous, et nous avons, j’espère, mérité vos éloges. Certes nous avons bien repoussé les charges de votre cavalerie et traversé ses lignes avec vigueur; mais ensuite nous avons été surpris, et je vous renouvelle mes excuses[5] ».



Le major-général Prince Alexander Petrovich Urusov. Bien malgré lui, il partagera la table du maréchal Marmont le 14 février…

Notes

[1] Marmont, VI, p.59.
[2] Rapport du Prince sur l’affaire d’Étoges,
Kriegsgeschichtliche Einzelschriften herausgegeben vom grossen Generalstabe. cité par Weil, p.219.
[3] Rahden, I, p. 251.
[4] Voir le rapport de Marmont, cité dans Mathieu p.232-233.
[5] Marmont, VI, p.60.